am 3:45 | Hannibal & Zephyr

Combien de nuits avait-il passées à fixer le plafond ? Des plafonds inconnus qui variaient souvent, presque toutes les nuits. Parfois il y avait un dos nus à ses côtés, montant, descendant doucement et paisiblement au rythme du souffle de celui qui dort. Mais Zephyr ne trouvait pas le sommeil. Ironique pour celui qui endormait. Peut-être faudrait-il qu’il demande au mec qui avait le même pouvoir que lui de lui filer un coup de main ? Il aurait donné n’importe quoi pour une nuit sans cauchemars avec la certitude de dormir. Ne pas se réveiller en sursaut, en observant ses mains pour y chercher du sang. Ne plus avoir les cris et les explosions dans les oreilles. Avoir l’horreur coincée dans son inconscient, trop endormit pour la libérer. Ah, le repos, enfin.  Cela aurait été fort plaisant, mais ça lui semblait impossible. Intouchable. La dernière fois qu’il avait essayé de s’endormir lui-même, il avait été inconscient pendant deux jours. C’était trop dangereux. Il n’avait pas fuit une mort certaine dans le futur pour en retrouver une dans le passé, quoique plus douce. Ces cauchemars étaient le fardeau de sa fuite, et il n’avait d’autres choix que de le porter.

Ce soir il fixait un plafond bien différent. Un plafond sans fin, de lumières hautes et d’obscurité. Les voitures qui volaient au-dessus de sa tête, les lumières des immeubles. Les étoiles n’étaient pas visibles mais la ville en créait de nouvelles, des constellations nées de la technologie et qui un jour, et les hommes le niait, s’éteindraient avec la civilisation. Il était sur le toit du QG, les pieds dans le vide, les fesses sur le rebord du muret. Sous lui on pouvait entendre le bruit sourd des basses du club, et parfois le rire de fêtards qui s’éloignaient, souvent accompagnés, ou alors seuls, les poches désormais vides.  Que l’homme peut être simple quand il ignore ce qui l’attend. L’heure s’affichant dans un coin de ses lunettes connectées. 3:45 am. Il était tard, ou tôt. Un peu des deux. Et Zephyr déprimait légèrement, en pensant à son passé, au futur. Un peu des deux.

C’est alors qu’il perçu un bruit derrière lui. Le toit n’était accessible qu’aux membres du gang qui voulaient venir prendre un peu d’air ou autre. Il ne s’attendait juste pas à ce que quelqu’un se pointe à une telle heure. Lui avait passé la soirée à prélever des organes, occupation comme une autre qui surtout  rapportait pas mal et lui assurait une bonne place dans l’organisation. Alors oui, il fallait s’assoir sur son sens moral, mais ça faisait longtemps que c’était chose faite pour Zephyr.  Il tourna la tête pour découvrir pas n’importe qui. Hannibal. Aie. Oui, aie. Il faut dire que leur dernière entrevue ne s’était pas forcément terminée sur une note très positive et que Zeph n’avait pas eu le temps d’arrondir les angles. M’enfin, Hannibal n’avait sans doute pas fait tout ce chemin pour venir lui casser la figure…espérait-il. « Chef. Je ne m’attendais pas à vous voir ici, belle soirée non ? » C’est bien les phrases bateaux Zeph, ça va te mener loin. « Hm, c’t’un peu cliché…Qu’est-ce-qui vous amène ? » Oui, quitte à avoir un partenaire de conversation, autant lancer une discussion, c’est plus sympa que de déprimer tout seul dans son coin « si c’est pour ce qui s’est passé la dernière fois, j’ai bien compris la leçon – mon dos surtout -  pas la peine d’en remettre une couche, promis. » C’est pas grave Zephyr, on te pardonne, il est trois heures du mat passé.

Comme d’habitude, Hannibal était resté silencieux. C’était pas forcément la personne idéale pour causer du temps qu’il faisait ou partir sur une longue dissertation concernant le nihilisme et le sens de la vie. Non, Hannibal utilisait la violence pour s’exprimer. Il y avait sans doute quelque chose à exploiter en thérapie. Ou essayer de trouver un autre moyen pour le chef du Nord de communiquer ce qu’il avait en tête, ce qu’il avait dans le cœur. Avant qu’il ait eu le temps de faire quoi que ce soit, Zephyr s’était retrouvé transporter de son bord de toit au milieu de celui-ci. Et Hannibal parlait enfin. Le moonstruck eut un petit temps de blanc avant de comprendre pourquoi est-ce-que la conversation avait pris un tel ton, un tel sujet. Ça lui semblait complètement sans logique par rapport à ce que lui avait dit, ou même à ce qu’il c’était passé quelques jours plus tôt. Celui qui lui avait mis une gentille raclée voulait désormais lui apprendre à se battre. Ok. Non. C’était pas logique. Mais Zephyr n’était pas dans la tête d’Hannibal, aussi ne pouvait-il prétendre comprendre comment son chef pensait.

Il le regarda se mettre en position de combat, les muscles tendus dans l’attente d’une attaque, prêt à riposter, son corps éclairé par les lumières stellaires de la ville.  Il y avait quelque chose de sûr qui échappait de lui, une aura qu’on ne pouvait que ressentir, et le cœur de Zephyr se mit à battre plus fort. Il avait déjà ressenti ça quand il était allé chez Hannibal, ainsi pouvait-il reconnaitre la sensation. Il s’échappait de son chef une aura de prédateur, quelque chose de sauvage, qui criait à la personne d’en face de rester sur ses gardes. C’était moins violent que quand il l’avait attaqué cela dit, car cette fois, le contexte était tout à fait différent. C’était quelque chose de voulu, de consentit, de bien plus calme et maitrisé. C’était une force brute mais retenue, il n’y avait pas toute la force de la colère pour exploser. Le tout était concentré. Et en un sens, c’était bien plus dangereux. Quand on est pas aveuglé par la fureur, on possède une puissance et un contrôle qui donnent un clair avantage. Zephyr eut un petit sourire, le coin de ses lèvres se souleva de satisfaction, ses pupilles s’étaient dilatées, son esprit était plus clair que jamais. On lui proposait un défi, un jeu, et dans les règles, il y avait une part de danger, une douleur potentielle, ce qui rajoutait toujours un peu de goût à la chose.

Zephyr analysa la situation. Il n’aurait clairement jamais l’avantage sur Hannibal concernant le plan physique, celui de son chef étant bien plus développé que le sien. La taille aussi pouvait jouer, mais pas forcément à son désavantage, souple et petit, ça pouvait être utile, mais il n’avait jamais pu juger la souplesse d’Hannibal donc il ne pouvait pas considérer ça comme un point utile pour le moment. Concernant la technique, la manière dont son vis-à-vis était positionné, dont il se tenait, le calme et l’assurance qui en venait, tout indiquait qu’il savait parfaitement ce qu’il faisait, et ce n’était pas les lointains cours d’arts martiaux du lycée qui allaient aider Zephyr face à un animal comme Hannibal. Toutefois, le docteur avait eu une idée. Son sourire ne fit que s’agrandir. Les règles étaient floues, elles n’avaient pas été spécifiées, et c’était le plus exploitable des défauts. Il tourna légèrement la tête sur le côté, faisant craquer la nuit, puis il fit un geste du bras, vers le bas. Il avait concentré son pouvoir de sédation dans son mouvement, le dirigeant vers les jambes de son chef. Il ne fallut qu’un instant pour que ces dernières soient complètement endormies, incapables de soutenir un corps, et donc que les lois de la physique s’appliquent et que le corps chute. Patatra. Hannibal était au sol. Satisfait, Zephyr s’approcha de lui et supprima immédiatement les effets de son pouvoir, lui rendant possession de ses jambes avant de lui tendre une main pour l’aider à se relever. « Je n’ai peut-être pas votre force, mais j’ai des capacités, qui vous sont d’ailleurs fort utiles. J’ai réussis à vous mettre à terre non ? Donc j’ai gagné. » Il avait un grand sourire et une voix un peu chantante. Sans doute allait-il assez vite le regretter, mais Zephyr était joueur et aimait tester les limites, encore et encore. Et pour ceux qui voulaient crier à la triche, il n’y en avait aucune, il avait juste vu les règles et les avait tournées à son avantage, comme toujours.

Si il y avait bien une chose que Zephyr aurait dû retenir de sa dernière entrevue avec Hannibal c’est que ce dernier détestait perdre. Que ce soit un jeu, un combat ou le contrôle, il n’était manifestement pas bon perdant. Et c’était souvent risquer de lui signifier sa défaite, d’essayer de le dominer physiquement ou verbalement. Cette fois-ci, après voir faillit finir en grillade, il s’en souviendrait. Hannibal s’était relevé sans son aide et avant de voir venir quoi que ce soit, Zephyr avait senti l’électricité se lever et puis cette chose l’avait frôlée. Il en avait encore le cœur qui en crépitait si bien qu’il ne put ne serait-ce qu’essayer d’esquiver l’étreinte d’Hannibal sur sa mâchoire. Le voilà qui était en bien mauvaise posture face à une force de la nature passablement mécontente. Et qui avait raison sur un point. Normalement, Soul Project ne durerait pas. En tout cas, elle n’existait pas dans le futur. Dans un sens, cela pouvait signifier deux choses : qu’elle disparaitra assez vite et n’aurait pas sa place dans l’histoire, ou alors que le monde existait en arborescence et non sur un point de vue linéaire. C’était la théorie de Zephyr, pour qui le temps ne fonctionnait pas en ligne ou en cycle, mais pour qui les choses se reproduisaient parfois à l’identique. Quid de Soul Project ? Il n’aurait pu vraiment le dire, mais il restait assez prudent avec l’application, ne pensant pas lui non plus qu’elle serait éternelle, d’où le fait qu’il en profitait énormément. Après tout ce n’était pas tous les jours qu’on pouvait se prendre pour un dieu !

Toutefois utiliser à nouveau ses capacités sur Hannibal ne lui semblait pas être l’idée du siècle, sauf si il voulait finir en Zephyr rôti. Il n’avait pas trop non plus envie d’avoir la mâchoire brisée, aussi fit-il ce qu’il avait l’habitude de faire. Parler. L’esprit devance la matière, théoriquement. Mais face à 200kg de muscle, c’est plus facile à dire qu’à faire. « Vous avez raison sur ce point » commença-t-il douloureusement « Soul Project n’existe pas là d’où je viens » et puis comme il se souvenait vaguement de menaces concernant le fait qu’il parle du futur, il profita de sa parlote pour prendre appuis sur les mains bien ancrée et de balancer son pieds en direction des côtes d’Hannibal, vieux souvenirs de cours encore plus lointain et d’une adolescence un peu mouvementée. Cela lui suffit pour s’écarter et retrouver une liberté de mouvement. Il recula de quelques pas de sécurité et se mit en position de combat, la même que celle adoptée par Hannibal quelques minutes plus tôt. Toutes ces conneries n’étaient plus de son âge mais il lui semblait que c’était un point auquel il ne pouvait pas échapper, autant pour son intégration au gang que pour sa relation avec Hannibal ou même pour sa survie à cette époque. « Je m’excuse et j’ai bien compris ce que vous aviez à me dire. » Concéder était la première étape pour apaiser quelqu’un, et quitte à se faire taper dessus, autant que ce soit par une personne qui n’est pas pleine de haine envers vous. « Je suis prêt pour la leçon, chef. »

Zephyr écoutait attentivement les instructions d'Hannibal, comme un élève sérieux, même si cela faisait des années qu'il n'avait pas eu à prendre de cours et que sérieux il ne l'avait jamais vraiment été à l'école, mais ce n'était pas réellement le moment pour se sentir nostalgique et revenir sur des souvenirs d'enfance. Douter, comme le disait Hannibal, était en effet quelque chose de plausible, on doutait forcément face à quelqu'un d'une telle carrure. Pourtant Zephyr n'avait pas hésité l'autre jour à venir au contact avec quelque chose de bien plus menaçant qu'un simple cours de combat. Et il se souvenait parfaitement comment ça s'était fini, même si il n'était pas certain de pourquoi il avait fait ça. Sur ce le coup ça lui avait juste parût complètement logique. Par contre viser là où ça fait mal, il pouvait le faire. Il avait fait médecine après tout, savait parfaitement où se trouvaient les organes et aurait pu briser tous les muscles d'un corps en les nommant. Viser vers les articulations, essayer de toucher les nerfs délicats du genoux, les ligaments était intéressant, mais pas trop fort non plus, le but n'était pas de se blesser...trop en tout cas, car une arcade sourcilière coupée saigne abondamment ce qui gène la vue de l'opposant.

Hannibal le coupa dans tout ses calculs en changeant complètement d'attitude. Etait-ce un piège ? Une stratégie ? Mais en tout cas il évoqua une vérité que Zephyr ne pouvait nier. En effet, il n'avait pas envie et fit un petit signe de tête approbateur avant de baisser lentement les bras, mais en restant sur ses gardes, au cas où cela eut été une stratégie, mais il ne pensait pas Hannibal assez fourbe pour faire ça, non, c'était plutôt quelque chose qui lui aurait fait. Il recula un peu pour aller s’asseoir sur un baril qui se trouvait là pour les besoins scénaristiques et prit la parole "vous savez chef, j'ai survécu à pas mal de trucs. Rien que depuis que je suis ici j'ai faillis mourir six fois et je me suis fait arrêter je sais pas combien de fois, mais je m'en suis toujours sorti." Il marqua une pause. "Car je sais survivre, et c'est ça l'important. Je  le sais car je viens d'un endroit en guerre, une guerre injuste et déséquilibrée, et en guerre, l'essentiel c'est de survivre, ou alors on crève, c'est comme ça." Il balança ses jambes, cognant contre le métal vide à plusieurs reprises. "J'ai des méthodes peu loyales certes, mais c'est pas l'important. Par contre, je peux vous demander quelque chose ?" Il plongea ses pupilles bleues dans celles de son chef "Est-ce-que vous nous préparez une guerre, Hannibal ?" Cet intérêt soudain pour que les membres de son gang sachent se battre et les tensions que Zephyr avait pu retenir avec certains gangs, tout ça sentait mauvais, et il était curieux de savoir comment Hannibal voulait gérer ça. Même si il était bientôt 4h du matin.

La réponse à sa question prit du temps à arriver, et quand elle naquit enfin de la bouche d’Hannibal, elle était bien celle que Zephyr craignait. C’était envisageable ; il fallait dire que nombreux étaient les conflits entre les gangs, et il suffirait d’une étincelle pour que cette tension s’embrase. Ou que le gouvernement ne décide d’agir concrètement contre les gangs. Et cela semblait travailler Hannibal, en même temps, il était techniquement responsable d’eux, de leur vie, et Zephyr savait ô combien il était délicat et lourd de subir le poids d’une vie entre ses mains, alors celles de tout un gang, il n’osait même pas imaginer ce que cela pouvait faire. Aussi, la confidence d’Hannibal n’était pas tant une surprise en soit, ce qui était étonnant, c’est qu’il l’offre à Zephyr, mais ce dernier n’allait pas s’en plaindre ; cela signifiait qu’il commençait à avoir la confiance d’Hannibal sur certains points, et c’était clairement une bonne chose.
Que ce dernier se pense mauvais chef était un peu plus détonnant, car il n’en donnait pas l’impression. Et Zephyr eut un petit sourire quand il lui passa une main dans les cheveux ; la dernière personne qui lui avait fait une telle chose était son frère, il y a bien longtemps. Et cela faisait aussi une éternité qu’il n’avait pas pensé à sa famille, il ne préférait d’ailleurs ne pas ressasser étant donné comment cela s’était terminés pour eux. Il acquiesça sérieusement devant la tâche que lui confiait Hannibal, même si il n’avait jamais douté faire cela en cas de conflit ; il préférait largement être à la sauvegarde des vies plutôt qu’à leur disparition, même si tuer ne l’effrayait pas, plus. « Je ferais tout mon possible » ajouta-t-il à son mouvement de tête.

Il observa Hannibal aller s’assoir sur le rebord où lui-même se trouvait peu de temps auparavant, avant d’aller l’y rejoindre et de regarder les mêmes lumières que plus tôt dans le noir de l’heure avancée. « Si ça peut vous rassurer, je pense que vous êtes un bon chef » commença-t-il en haussant les épaules « sinon ça fait longtemps que quelqu’un d’autre vous aurait remplacé, c’est comme ça que ça marche dans un gang » c’était la vérité, il pensait vraiment ce qu’il disait, et d’ailleurs, n’aurait eu aucun intérêt à mentir sur le sujet. L’Est avait vécu un changement de chef, alors pourquoi pas le Nord, si Hannibal avait semblé incompétent ou faible à quelqu’un qui s’estimait meilleur. Et les hommes étaient avides de pouvoir, alors il y avait certainement quelqu’un comme ça dans le gang, plusieurs, mais aucun n’était passé à l’acte, preuve qu’Hannibal tenait correctement sa place aux yeux de la majorité. On ne fait pas un coup d’état sans soutien. « Sinon, vous savez qu’on a le même âge ? » Sans rapport aucun, peut-être pour détendre un peu l’atmosphère, Zephyr avait donné cette information qu’il gardait normalement pour lui à son chef ; si l’autre confiait ses doutes, le moonstruck pouvait bien laisser partir quelques informations le concernant. La confiance, ça allait dans les deux sens.