meet me between midnight and dawn – ft. redwood

musique • On dirait qu’elle est tombée hors du monde. Tu fais tâche, avec ton visage poupin et ton sourire de gamine abrutie qui te colle à la peau comme un masque trop réaliste. Tu fais tâche, dans ce monde gris et triste où on nous apprend à jouer aux durs pour pas se faire écraser par l’ennemi ; ce monde qui s’apparente plus à un enfer sur terre et toi qui parais plus étrange encore que le paradis et ses bonnes manières. Oui, une nuit, que la lune était pleine, elle a dû tomber. On dit que tu n’es pas des leurs, que tu es différente et que tu n’as rien à faire ici. On dit que tu es trop faible pour un monde aussi gris. Les chuchotis surpris ainsi que les rires gras parsèment alors ton chemin – on t’a pourtant dit qu’il ne faisait pas bon de traîner par ici la nuit – mais tu les ignores ; sale gosse effrontée qui se joue de tout et ne respecte que ses propres règles. Depuis, elle erre. Cette nuit aussi, tu erres. Entre deux bars ou deux chansons, tu te glisses sur les trottoirs gris de ton royaume de poussière parsemé d’éclats de verre et tu fredonnes du bout des lèvres un nouvel air.

T’as l’air si naïf ici ; t’es rien de plus que le reflet impromptu d’une image qui colle pas au décor. On a envie de te prendre par les épaules et de te secouer ou bien de te claquer les joues pour que t’arrêtes de claquer le pavé. On a envie de brûler ta chevelure rose trop voyante, de coudre tes lèvres trop souriantes. On serait prêt à tout pour te faire réagir autrement qu’à travers des sourires parce qu’ici il n’y a pas de place pour les faibles, les innocents, les enfants qui se la jouent à la Peter Pan. Pan. Une balle dans ton crâne, ça les amuserait peut-être. Pan. Mais c’est juste un coup qui résonne au loin. Ça pourrait être un feu d’artifice comme un homme sur le carreau, ça t’es égal. Tu ne te sens plus concernée. Parce qu’au fond, tu n’as rien de la poupée ingénue que tu prétends être.

Le ronronnement des véhicules qui circulent encore à cette heure tardive de la nuit berce tes pensées et alors que tu t’arrêtes sur un pont aussi peu éclairé que fréquenté, ce décor urbain, tu t’en imagines un conte de fée. Tu t’accoudes à la rambarde et ton regard glisse en contrebas, sur les lumières rouges qui défilent à toute allure, comme une multitude d’insectes, ou bien d’yeux – des yeux carnassiers, menaçants, des yeux monstrueux qui vous tournent autour comme des vautours. T’as l’imagination fertile, et tu t’inventes des histoires à en oublier où t’es et depuis quand t’y es. Tu laisses le temps passer, parce que de toute façon, ce soir comme tous les soirs, t’as personne qui t’attend nulle part. Tu ne prêtes même plus attention aux rares ombres courbées qui se glissent encore, de temps à autre, dans ton dos ; ces pauvres gens qui eux non plus n’ont certainement pas de lit douillet à combler – ces fantômes de la nuit qui s’évaporent dans les brumes matinales.

Clac clac. Mais, s’il n’y avait pas que de fortuites âmes errantes ? Clac clac. Ne devrais-tu pas te faire un peu plus prudente ? Clac clac. Il pourrait t’advenir des choses déplaisantes.

A moins que tu t’en fiches ?

musique • Dans un sourire, non plus naïf comme ceux que tu distribues à longueur de journée mais un sourire empli d’une ironie désespérée, tu te figures, l’espace d’un instant, que ce soir serait un joli soir pour jouer à pile ou face : te jeter du haut de ce pont, plonger tête baissée dans la marée de véhicules vrombissants, et laisser ton sort reposer sur ton unique pouvoir que tu maîtrises encore à peine, tant il t’est récent. A cette idée un frisson mêlé d’appréhension et d’excitation te parcourt lentement – décidément, l’instabilité de ta capacité ajoutait du piment à tes jeux dangereux. Pourtant, cette idée a à peine le temps de germer dans ton esprit, de commencer à te séduire sournoisement, qu’elle est aussitôt chassée par le contact d’un objet humain contre ta joue. Un frémissement surprit se glisse dans tes pupilles que tu tournes lentement sur le côté, découvrant le torse d’un homme à la stature imposante – quoique, tu as l’habitude de t’adresser à des torses, avec ta taille ridicule. Tu glisses ton regard vers le haut, découvres la mâchoire menaçante et les yeux perçants de l’homme te fixant. Les lèvres de ce dernier s’ouvrent et la voix qui s’en élève, tu n’en doutes pas une seconde, est de celles qui doivent en faire frissonner plus d’un.

– Hey. T'as pas l'impression qu'il se fait tard pour une gamine comme toi ?

Gamine. Le mot t’amuse, mais tu prends la précaution de ne rien en laisser paraître pour le moment. Tu ne sais pas encore à qui tu as affaire, et au fond, tu regrettes un peu d’être restée si longtemps – bien que tu ne sois pas de nature peureuse, tu restes généralement prudente et veilles à ne pas trop traîner dans ces quartiers malfamés. Tu te mords légèrement la lèvre inférieure, avant de t’empresser d’effacer toute trace visible d’inquiétude de ton visage dont tu peins les contours de cette douce naïveté que tu feins à longueur de journée. Un quart de tour pour te trouver face à lui, masque d’innocence collé à la face. Joues celle que tu n’es pas tant que tu ne sais pas qui te fait face.

– Tard ? C’est plutôt tranquille ici, je n’ai vraiment pas vu le temps passer. C’est drôle. Non ?

Tandis que tu prends ton temps en t’exprimant, tu esquisses un sourire du bout des lèvres. Non, ce n’est pas drôle et tu le sais, rien n’est drôle par ici, mais tu te demandes encore comment va réagir cet énergumène. Ses réactions, ses intentions, ses pensées. La raison pour laquelle il t’aborde ainsi, d’un doigt contre ta joue. Non, ce n’est pas le fait que tu n’aies soi-disant pas vu le temps passer qui t’amuse, mais bel et bien lui, face à toi et l’incroyable infinité de scénarios qui surgissent d’ores et déjà dans ton imagination, qui te rend presque jouasse. Allié ou ennemi ? Tu avais déjà ton idée, évidemment. Tu t’occupes à le détailler, ses épaules imposantes, son menton droit, sa mâchoire bien dessinée, sa posture décontractée et sa stature menaçante. Des millions de questions germent dans ton esprit ; qui est-il, que fait-il ici, que (te) veut-il ? Malgré cela, tu conserves ton calme, jouant tes pions avec prudence. Ne vaudrait-il pas mieux que tu fuies ? Sans doute le ferais-tu, si ton sort t’importait.

– Et puis, tu crois que j’ai quelque chose à craindre, ici ?

Evidemment. Ici, tu devrais craindre chaque craquement dans ton dos, chaque souffle un peu trop proche, chaque retentissement dans la nuit. Ici, tu devrais craindre le colosse qui te fait face. Minuscule poupée que tu es. Pourtant, alors que tu interroges ton interlocuteur, tu souris doucement – d’un sourire aux apparences d’innocence. Un sourire qui n’a pas lieu d’être et qu’on préférait voir disparaître.