Points de suture ► Zephyr

Les rumeurs faisaient part d’un petit nouveau qui serait immortel, un chinois roux. Honnêtement, Zephyr était plus étonné par le fait qu’il soit chinois et roux que par le fait qu’il soit immortel. Il avait vite fait de cesser d’être surpris par les capacités de l’application Soul Project.  En fait, ce qui l’intriguait le plus, c’était de savoir ce qu’il se passerait quand l’application cesserait de fonctionner. Les pouvoirs resteraient-ils en place ? Se dissiperaient-ils ? Il y aurait-il un contrecoup ? Le sujet immortel subirait-il avec un effet de retard, les conséquences de ses blessures mortelles ? Ou, même avec l’application encore en place, si on lui explosait la tête, ou le décapitait, resterait-il encore en vie ? C’était des questions tout à fait saines et passionnantes à se poser, d’un point de vue purement médical et curieux.

En tout cas, ding dong, le destin semblait l’avoir entendu car en plein milieu du QG venait de débouler un chinois roux (et ça ressemblait presque pas à une teinture) qui foutait du sang partout et demandait, à grand renfort de bruit, si Zephyr pouvait venir le recoudre.
Zeph se glissa entre la foule assemblée (ils s’habitueraient assez vite) pour venir se pointer devant le bleu roux. « C’est mooiiii » lâche-t-il, chantonnant, tout en observant son tout nouveau patient. Tout cela allait s’avérer très drôle. « y’a rien de plus drôle que la couture sur chair, mais on va éviter de faire ça ici, y’a un coin dans la base pour ça, un endroit oo t’as le droit de foutre du sang partout, suis-moi » et glissant plus que marchant, il guida le roux jusqu’à une petite pièce vaguement propre qui servait à moitié d’infirmerie et lui désigna une table en fer  froid où on posait les corps, vivants ou moins vivants, lors de circonstances identiques « tu peux te mettre là, et te dessaper avant. Tu veux que je t’anesthésie ou on fait ça à la barbare, comme au bon vieux temps ?» techniquement pour Zeph le bon vieux temps c’était l’époque actuelle, mais bon, c’est un détail et le but était aussi d’étudier cette capacité immortelle, ou de s’amuser un peu, ou les deux à la fois.

L’anesthésie pour les tapettes ? Vraiment ? Alors qu’il venait de se rouler sur le sol après avoir ri à une plaisanterie ? Il y avait des limites à la masculinité mon grand.  En tout cas c’était assez comique. Clairement, ça avait un bon potentiel, Zeph aurait pu filmer ça et le revendre à une boite qui faisait des soaps opéras, y’avait qu’à rajouter des rires préenregistrés et ça aurait été un succès assuré.  On aurait appelé ça Docteur Zeph avec un générique punchy et des transitions colorées.  Malheureusement Zephyr n’avait pas d’équipe de tournage sous la main, dommage, le succès attendrait. Il observa, avec un sourire amusé, le roux foutre du sang partout et vaguement s’inquiéter, sans doute ironiquement de l’état de dégout de son soigneur attitré « bah, une fois qu’on a vu des gens imploser, on est plus dégouté de rien. » Il avait lancé ça le plus naturellement du monde, avec même une pointe d’humour et un sourire alors qu’il était extrêmement sérieux et que les implosions, c’était vraiment pas beau à voir.

Il n’aida pas le chiroux (mélange entre chinois et roux, vu qu’il connaissait pas encore son blaze) à s’installer sur la table et roula des yeux en l’entendant se plaindre de la température de la table. Et après ça voulait pas d’anesthésie. Récupérant les quelques outils qui lui serait nécessaire dans la salle, il se rapprocha ensuite. Ca n’allait pas être complètement barbare. Après tout, avec tous les trafics d’organes que produisait le gang, ils étaient plus ou moins fournis en matos,  et puis avec un mec qui peut pas mourir, on avait besoin d’encore moins de précaution, c’était chouette.  Il n’avait pas par exemple à le brancher pour vérifier que son cœur battait encore…et si il fut tenté un court instant de retirer le dit cœur pour tester les limites du pouvoir de la personne baignant dans son sang juste en dessous de lui, la flemme était plus grande que l’envie et il remit cette expérience à une fois prochaine.  « Par contre tu passeras la serpillère pour nettoyer ton bordel, et je te filerais ma note de pressing » ajouta-t-il en observant le corps dévêtu (hehe) de son patient.

En dehors des parties qui intéressaient habituellement Zeph, il pouvait constater, grâce au scanner qu’il avait lancé depuis ses lunettes (ouai, elles sont même pas pour la myopie) toutes les hémorragies internes du pauvre garçon ainsi que les différentes balles logées dans son corps. « Ah oui ils t’ont pas loupé. On dirait une fontaine à l’intérieur de ton corps, ta rate est pas en forme et tu vas devoir te passer d’un rein, mais bon, une personne normale peut vivre avec un seul, alors c’est pas ça qui devrait te poser soucis. » Petite pause, puis un grand sourire qui s’accroche sur le visage de Zephyr  tandis qu'il sortait un scalpel; « par contre je vais devoir t’ouvrir pour faire cesser les hémorragies, donc comme tu veux pas d’anesthésie, ça risque de piquer un peu sois gentil et bouge pas trop sinon ça va être un peu chiant. »

« Me payer en service, non non je fais ça gracieusement. Par contre si tu insistes, j’accepte les payements en nature. » La voix chantante et l’œil rieur, Zeph avait balancé ça comme si de rien n’était. Comme si c’était tout naturel pour lui, la plus normale des choses. Et c’était d’ailleurs le cas. Zephyr n’avait aucun problème à évoquer son amour de la chose sexuelle et à draguer tout ce qui avait un pénis entre les jambes. Mais son attention fut attirée par autre chose que son inclination pour les parties intimes de son patient. Non ce dernier mentionnait en fait son pouvoir. Aonsi cela fonctionnait par régénérescence. Intéressant. Et pratique. Toutefois cette repousse devait être plutôt lente, sinon il n’aurait pas eu à réclamer un médecin.


« Donc ça repousse ? Tu nous serais très utile pour le trafic d’organes tu sais, on aurait même plus besoin de kidnapper qui que ce soit, ça serait un gain de temps incroyable. T’es de quel groupe sanguin ? » Bien entendu Zephyr le voyait, le groupe sanguin de son patient, avec l’aide de ses binocles du futur. Mais cette question allait dans le sens de sa remarque précédente, dite d’une manière à ce qu’on ne pouvait pas trop savoir s’il était en train de plaisanter ou on ne peut plus sérieux. C’était, de toute manière, une frontière plutôt dure à attraper concernant Zephyr.

Il écouta le jeune homme déblatérer concernant le gang qui lui avait fait ça. Qu’est-ce qu’il était bavard. Mais sans doute parler encore et encore était soit 1. Extrêmement naturel chez lui. 2. Un moyen d’évacuer son angoisse/sa douleur. 3. Les deux. 4. La réponse D.
Pendant ce temps, le docteur avait pris une sorte de tube noir qu’il plaça au-dessus de l’un des trous causés par la balle ; « attention, ça va un peu piquer » et il appuya au même moment sur un bouton. Aussitôt la balle fit le chemin inverse de son entrée et alla se fixer au bout du tube. « c’est merveilleux la technologie, non ? Enchanté, Nurhaci. » et sans sourciller il refit la même chose avec chacun des autres trous avant de récupérer les balles ensanglantées et de les mettre dans une des mains du chiroux. « Voilà, si jamais tu veux garder un souvenir. »

Zeph avait quand même un petit cas de conscience. Ouvrir un homme sans anesthésie, il l’avait jamais fait, c’était pas très respectueux du serment d’Hippocrate, tout ça. Et même si l’autre faisait le guignol, il voyait très bien qu’il avait mal, si ce n’était pas les grimaces réprimées que par les signaux envoyés par son cœur que lui captait parfaitement. Et sans être quelqu’un de forcément très moral, Zephyr n’était pas non plus un parfait sadique, en plus, il avait des capacités de sédation, alors autant que ça lui serve à autre chose qu’à faire de bonnes siestes. « Sinon, tes cheveux, c’est ta couleur naturelle ? » il avait commencé à doser un peu de son pouvoir dans ses mots, normalement, Nurhaci allait se sentir de plus en plus détendu. Malgré le fait que son médecin se penche juste au-dessus de lui avec un scalpel à la main. Zeph ne pensait pas l’endormir, sauf si il voyait que ça devenait nécessaire, et puis avoir une conversation avec la personne que l’on opère était plutôt rare. Et marrant. « T’es prêt ? »

Zephyr laissa son scalpel en l’air quelques instants. Les propos de Nurhaci étaient étonnant, défiants toute logique médicale, plaçant son cas dans des profondeurs métaphysiques imprévues. Il revenait dans un autre corps ? Surprenant. Certes, le simple fait d’avoir des pouvoirs défiait toute logique. Souf Project était tellement révolutionnaire que s’en était presque suspect, et Zephyr avait ses propres théories sur le sujet, sans doute très semblables, sans doute réalistes ou réelles.  Mais le moment n’était pas à théoriser. Toutefois, il avait quelques questions; « Dans un autre corps ? Complètement différent ? Mais d’où il sort ? C’est passionnant. Ca explique aussi peut-être la couleur de cheveux. Pas trop dur de suivre le rythme des changements ? » Une vraie pipelette, mais en même temps, cela lui avait permis d’utiliser ses capacités de sédation, complètement sur la zone qu’il allait ouvrir, et assez pour calmer le patient, sans pour autant le priver de ses capacités cognitives et surtout de parole. Il voulait savoir après tout.

Avant de commencer à couper, il prit le temps de mettre en place une sorte de mini rideau entre la tête du chiroux et son torse qu’il allait ouvrir. Il y a plus plaisant, assurément, que de voir ses organes. Déjà que voir DES organes c’est pas facile, alors quand c’est les siens, dans son propre corps, encore en vie, c’était spécial. Après avoir pratiqué la première incision, et ouvert en grand le ventre de son cher patient, il commença à faire son affaire de docteur tout en conversant avec Nurhaci. En ce moment, il avait plus l’habitude de retirer des organes que d’en réparer. C’était d’ailleurs assez ironique que le trafic d’organe ait cette ampleur dans un monde où existaient déjà les androïdes et les organes mécaniques, mais bon, s’il avait tout compris, c’était destiné  l’extérieur de la ville, ou à ceux qui n’avaient pas assez pour s’acheter un tout nouveau cœur avec processeur et Windows 69.  Du coup, on lui avait quand même posé une question, avant qu’il n’assomme son vis-à-vis d’interrogations. « Ta confiance me touche, et oui oui le futur, c’est vrai et c’est pas des conneries. » petit moment de suspens et surtout il était en train de suturer la rate donc il fallait qu’il se concentre un coup. Sans doute Nurhaci sentait-il quelque chose, ça devait pas être agréable, des tiraillements, des picotements, mais normalement, pas douloureux, et puis au pire, Zephyr lui ferait faire un bon gros dodos « Pour faire simple, les robots étaient partout, y’a eu un soucis, ils ont commencé à tuer tout le monde et c’était soit mourir soit voyager dans le temps, voilà voilà » C’était un peu bizarre de résumer comme ça, et avec une voix si joyeuse, mais il n’avait pas forcément envie d’entrer dans les détails douloureux.  La rate stabilisée, il s’occupa de retirer le rein, après il irait s’occuper des autres hémorragies.

hrp:

Le ton joyeux alors qu’il vient de fuir un cauchemar. C’était une bonne définition de Zephyr, peut-être qu’il en ferait graver une variation sur sa tombe, en épitaphe. Ca résumerait assez bien sa vie. Après tout, il valait mieux en rire que d’en pleurer, non ? Pleurer Zephyr ne le faisait pas trop. Par contre, ne pas dormir, avoir des attaques de paniques, tout refouler et passer une couche de sédatif comme une couche de placo par-dessus pour lisser et faire comme si rien ne s’était passé, ça, il le faisait beaucoup plus. Face à la réflexion de Nurhaci, il se contenta d’hausser les épaules, concentré sur son travail. Surveillant les constantes du coin de l’œil, il se saisit d’une seringue remplie d’un liquide blanc. C’était une solution destinée à faire face au manque de sang, maintenant qu’il avait stoppé les hémorragies, il pouvait relancer la production sanguine. La technologie du 3ème millénaire était bien loin d’être aussi avancée que celle de son époque. Si il avait eu les outils d’où il venait, l’opération serait déjà terminée et Nurhaci pourrait repartir vagabonder dans la nature au bout de deux heures. Mais à côté, si ils étaient encore au 2ème millénaire, le chiroux serait mort depuis longtemps.

« L’application n’existe plus de là d’où je viens. Tu ne pourras malheureusement pas voir le règne sanglant des robots. Mais à côté, ça veut dire qu’il y a un jour où tu pourras enfin mourir, c’est pas si mal non ? » Zephyr jeta un petit regard à Nurhaci, sans rien rajouter de plus, sans juger ou même montrer un avis clair sur la question. Il lui mit une petite claque sur la fesse quand il commença à rire « arrête de gigoter, tu m’empêche de bien recoudre » bien entendu il y avait encore les fils à l’époque, mais ils étaient imprégnés d’une solution qui facilitait la reconstitution des chairs à grande vitesses. Ce fut à son tour de rire quand l’autre lui fit part de son agréable surprise sur sa capacité à utiliser ses deux mains « Bah, tant mieux, je me suis pas tapé toutes les années d’école de médecine pour rien » lâcha-t-il avec ironie avant de reposer son scalpel sur la table.

Une demi-momie de bandages plus tard, et c’était bon. « Voilààà » chantonna-t-il sur ce ton qui ne l’avait presque jamais quitté depuis le début. « Bon, t’évites de bouger trop pendant les trois prochains jours, mais dans une semaine ça sera bon. Normalement ça devrait tenir…jusqu’au prochain corps » si Nurhaci changeait de corps à chaque fois, réparer quelque chose qui au final était destiné à mourir pour revivre autrement était un peu du gâchis de ressources, mais bon, à réfléchir comme ça, la médecine en elle-même n’avait aucun sens. « Tiens, c’est cadeau, au cas où tu veuilles le garder. En aller-retour à la poêle avec un peu de beurre et de sel, c’est un régal ! » Rajouta-t-il en tendant un sac ensanglanté à Nurhaci. Son rein. Oui, c’était charmant.

Parfois les gens avaient du mal à comprendre l’humour de Zephyr, complètement désaxé. Peut-être était-ce une histoire de génération, ou alors le moonstruck avait tout simplement développé un sens de l’humour très particulier suite à ce qu’il avait vu. Quand on a vécu l’horreur, on peut se moquer de tout, plus rien n’est glauque. Même les blagues pédophiles avec des curés. Ou celle des quatre blondes et du tabouret, indémodable. En tout cas la blague du rein avait été prise trop au sérieux, et Zephyr ne savait pas si il devait rouler par terre de rire ou au contraire réfléchir à l’image de psychopathe qu’il était en train de se créer. Les deux peut-être. Il regarda la réaction de Nurhaci avec un sourire prononcé qui ne devait pas aider à lui faire une image saine d’esprit. Le voyant un peu confus à la suite de cet incident, et surtout à cause de l’effet que le pouvoir de sédation devait encore avoir, Zephyr lui tendit  ses vêtements qu’il avait l’air de rechercher. Le voir à poil n’était pas une chose désagréable, mais il ne fallait quand même pas qu’il attrape froid. Ça serait con de mourir à cause d’une crève après ce à quoi il venait de survivre, même si, connaissant son pouvoir, Zephyr aurait pu lui conseiller de mourir un coup pour recommencer de zéro avec un beau corps tout neuf. Mais ça ne faisait pas très docteur, comme conseil.

« Tiens » lui lança-t-il en même temps que ses fringues. Il allait pas non plus l’aider à se rhabiller, après tout, il n’avait pas touché à la marchandise de sa manière préférée et ça ne risquait pas d’arriver sous peu étant donné qu’il avait lui-même prescrit du repos. Fichu job. Pendant ce temps, Nurhaci parlait de payer une dette. « Si on m’avait filé du fric en bonus à chaque fois que j’ai sauvé une vie, je serais riche et pas ici » Un peu d’étalage d’égo, merci au revoir. En plus c’était faux, thune ou pas, il se serait quand même retrouvé dans ce foutoir à cause de ce qui allait se passer des années plus tard. « Y’a pas de dette, c’est mon boulot dans l’gang de soigner les petits bobos. Bon après si tu veux vraiment me rendre service, j’aimerais bien Hannibal – consentant - dans mon lit, mais ça risque d’être difficile, même si je ne désespère pas. » Il eut un petit rire. Etait-ce un trait d’humour ou une vague requête sérieuse ? allez savoir [Hanni jtm bb plz]. En tout cas en ce qui concernait le non payement, il était tout à fait honnête. Zephyr savait quelle était sa place dans ce gang, et elle était fort utile, alors il allait éviter de vouloir le beurre, l’argent du beurre et le cul du crémier, il se contenterait de ce dernier point. « Evite juste de revenir trop vite, et pendant l’heure de ma sieste, la prochaine fois. » Il haussa les épaules. « D’ailleurs en parlant de sieste, si tu veux faire un bon dodo sans douleur pour te remettre sur pied, t’as qu’à le dire, ça me prendra deux secondes max. »