❝ my mind's like a deadly disease } zorn

La peur au ventre, l'envie de vomir si forte qu'elle semble prendre le dessus sur les pensées – pensées pensées emmêlées un gros nœud qui lui brise les os et l'enferme dans son propre crâne. Elle confond réalité et rêve et plonge au plus profond de ses songes s'enfonce à l'intérieur de son esprit et s'y réfugie comme pour se protéger – terrifiée, certes. Mais de quoi, elle n'en sait rien. Et elle sent à peine le remous de l'eau, les doigts sur son corps, les caresses affectueuses et la voix de son bourreau s'éteint, change pour devenir un grognement guttural.

Elle ne sent ni les phalanges ouvrant ses paupières ni l'outil se glissant sous son globe oculaire. Elle n'entend pas le ploc qui le décolle, ni même le bruit des lames coupant le nerf. Elle n'entend rien, elle ne sent rien. Perdue dans un sommeil artificiel, un sommeil sans rêve où elle se contente de naviguer dans le noir. Et pourtant la douleur se fait lancinante, l'hémoglobine coule sûrement sur son visage inerte – elle ne s'en rend pas compte, la Biche gambadant au milieu du vide, au milieu du rien qui compose son existence fragile.

Et les souvenirs se mélangent, passent devant ses yeux et derrière son crâne – elle tourne sur elle-même dans un monde qu'elle a inventé dans son inconscience, elle perçoit quelques murmures, quelques paroles qui s'écartent du miasme de ses réflexions. C'est sa faute à lui […] Alexandre […] Bambi. Sa faute si quoi ?
Elle a oublié, elle a oublié. Elle ne s'en souviendra peut-être jamais. Alors elle continue sa dérive mentale, elle sent vaguement qu'on la transporte mais ne s'en inquiète pas – elle est déjà morte, après tout. On ne peut pas lui faire plus de mal.
menteuse menteuse tu mens comme tu respires

Ses yeux s'ouvrent – correction, son œil s'ouvre. L'autre ne fonctionne pas, sa paupière reste bloquée. Elle y porte une main panique panique
elle y porte deux mains battements battements
son œil a disparu
une fleur s'y est installée. Et Bambi se lève retient sa respiration s'accroche au bord de la barque – barque, barque, que fait-elle là ? Ses griffes se plantent dans le bois des roses s'écrasent lorsqu'elle remue et l'odeur de la végétation empli ses narines. Elle est dans la baie, dérivant lentement contre des vaguelettes vicieuses ; son palpitant tambourine contre sa poitrine et les paroles lui reviennent les paroles mais de qui ?
Alexandre. Sa faute sa faute tout est de sa faute ; ses poumons se dégagent laissent l'air y pénétrer en grandes inspirations et elle ferme l'oeil porte une nouvelle fois les doigts à la blessure au trou dans son visage à la fleur qu'on a enfoncé là où son globe oculaire devrait être.

Mal mal tu as mal mal comme si on glissait des lames dans ton œil comme si des griffes s'y faufilaient et déblayaient le terrain pour y faire pousser une jolie plante un message peut-être une menace sûrement mais pourquoi pourquoi et ses mots se répètent elle balbutie dans sa propre tête et une touffe blanche revient sans cesse des mèches pâles des mèches qu'elle voudrait agripper une tronche qu'elle voudrait massacrer et la peur lui donne envie de vomir ses tripes se soulèvent mais rien n'ose sortir rien n'ose passer la frontière de sa gorge.

Peut-être qu'une fleur pousse aussi dans sa bouche peut-être que ce goût pâteux qui y règne vient de là et peut-être que la baie n'est pas ce qu'elle prétend être – peut-être qu'elle est perdue dans le Styx entourée par des roses plus rouges que son hémoglobine et elle a beau chercher son souffle il refuse de se régulariser sa respiration anarchique la pousserait à la mort plus aisément qu'un coup de couteau asséné dans sa gorge déjà offerte à la Faucheuse.
Ses pensées s'emmêlent mais toujours il revient toujours il y est maître Alexandre Alexandre peut-être s'est-il servi d'elle peut-être lui ment-il depuis le début et elle pense elle pense à s'en déchirer la tête à en faire couler ses songes par les fêlures de son crâne esquinté elle s'accroche plus fermement à la barque mais l'application téléchargée revient à la charge comme un boulet de canon son don échappe à son contrôle et ses hurlements paniqués s'enfoncent peut-être peut-être oui dans la tête d'un inconnu – est-ce qu'elle rend quelqu'un fou est-ce qu'elle transmet ses maux à quelqu'un est-ce que ce quelqu'un l'entend et est-ce qu'elle va mourir avec une putain de fleur dans l'oeil. Ses questions en perdent leur portée interrogative.
Sa voix oublie de résonner lorsqu'elle entr'ouvre les lèvres.
Lorsqu'elle essaye de parler et que ses lippes asséchées craquent comme les vieilles pages d'un vieux livre perdu dans une vieille bibliothèque.

« Aidez-moi. »

Qu'elle supplie.