Tu te mords la lèvre.
Comment est-ce que les choses ont pu se terminer ainsi ? C'est stupide. Stupide, stupide, stupide. Ça n'aurait jamais du arriver. Parce que tu t'es juré que ça ne t'arriverait pas. Toi qui es si soigneux d'habitude, toi qui le conserve toujours au creux de ta main, ne le lâchant jamais, parce que c'est la seule chose qui dessine la limite entre toi et le monde extérieur. Quand tu l'as, tu n'es plus tangible. Tu n'existes plus. Un peu comme si tu utilisais ton pouvoir. Mais c'est bien moins fatiguant que d'être réellement invisible. Quand tu l'as, plus rien ne t'atteint. Ni les bruits de la foule autour de toi, ni les soucis du quotidien. Enfin, tu n'es pas spécialement anxieux en général de toute façon, alors on peut dire que cela t'atteint encore moins. Mais aujourd'hui, c'est différent. Parce que rien ne s'est passé comme prévu.
Sortir en dehors du QG du Valhalla est quelque chose que tu fais plutôt fréquemment, pour te changer quelque peu les idées de la routine manger - mission - dormir. Pas que cela ne te déplaise, mais à force de traîner dans les locaux, les gens finissent pas s'approcher un peu trop de toi, et ça, c'est quelque chose avec lequel tu as du mal. Alors tu fuis, tu voles, de bâtiment en bâtiment, invisible, sans même prévenir qui que ce soit, même pas tes deux coéquipiers, Nils et Rumen. Et tu te retrouves dans le quartier qui est celui que tu préfères dans tout Equilibrium: Cheenbury. Tu ne sais pas vraiment pourquoi, mais toi, qui pourtant recherche la solitude, tu aimes bien t'y trouver. Tu y allais souvent avec tes frères, quand tu étais plus jeune. Peut-être est-ce un arrière goût de ce temps passé, de ces souvenirs que tu aimerais oublier, mais qui ne font qu'être de plus en plus présents, qui te poussent à revenir ici. Pour te dire que les choses n'ont pas changé. Mais plus tu te regardes dans le miroir, plus tu sais à quel point ils ont tort.
C'est au cours d'une de ces escapades que c'est arrivé. Au milieu du centre commercial, alors que tu traînais les pieds, en tentant d'éviter la masse de personnes qui affluaient dans les allées. En rasant les murs. C'est au cours d'une bousculade que tu l'as lâché. En pestant contre celui qui t'était rentré dedans, marmonnant quelques insultes, tu n'y as plus prêté attention. Tu as continué ta route, le regard comme captivé par les hologrammes et les écrans qui constellaient les murs. L'électronique, ça a toujours été ton truc. Même si elle vous élevait seule, ta mère était toujours à la pointe de la technologie. Férue de gadgets, elle collectionnait toujours tout ce qui venait de sortir. Une pointe amère dans ton cœur alors que tu te rappelles son visage; et tu oublies. Comme elle t'a oublié. Tu continuas à avancer, perdu dans tes pensées, avant de t'arrêter brusquement. Et tu réalisas. Tu n'entendais plus rien. Ou plutôt, tu entendais tout. Tout ce que tu voulais effacer de ta bulle, qui soudainement t'assaillit. Instinctivement, tu mis ta main dans ta poche...pour n'y rien trouver. Et c'est une bouffée d'angoisse qui te saisit à la gorge.
Ton mp3 a disparu.Habituellement, tu ne stresserais pas autant pour un objet. Mais là, en l'occurrence, on parle de ton fidèle compagnon de tous les jours, l'une des rares choses que tu as conservé de ton ancienne vie, avant d'arriver au Valhalla. Ce qui te permet de tenir le coup au milieu de tous ces...individus. Parce qu'après tout, le contact humain, c'est vraiment pas ton truc. Tu sens peu à peu l'inquiétude t'envahir, tu deviens de plus en plus fébrile. Le brouhaha alentour inonde ton ouïe, si fort que ça en devient insoutenable. Bientôt, tu trembles.
Ça ne peut pas se passer comme ça. Tu serres les dents, et tu fais demi-tour, d'un pas rapide, pour voir où est-ce que tu as pu l'égarer. Mais plus tu avances, plus tu te sens mal. Les yeux rivés sur le sol pour voir s'il n'est pas tombé par terre, tu finis par relever la tête au bout d'un moment, à bout de souffle. Tu jettes rapidement un coup d’œil à ton reflet dans une des vitrines: tu es blême. Tu sens ton cœur battre à toute vitesse, et, sans vraiment savoir pourquoi, tu es presque en colère. Tu t'apprêtes à reprendre ta route, quand, accidentellement, tu bouscules quelqu'un.
Pas encore— Tu laisses échapper un soupir sonore, et tu es prêt à repartir quand ton regard s'arrête sur le visage de la personne que tu as malencontreusement importuné. Une jeune fille, au regard...étrangement captivant. Tu bredouilles.
« ...désolé. »
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